Cet article fait suite à Comment j’ai aimé un sale type durant 454 pages…

Qu’est-ce que l’émotion ?

Je suis cartésienne. Issue d’une famille de mathématiciens. Dans ma famille, le corps est secondaire. Tout se passe là-haut, dans la boîte crânienne, voire au-dessus. Si les émotions existent (et rien ne le prouve), elles ne sont pas montrables. On les jugule, on leur tord le cou. Les montrer, c’est comme se promener tout nu dans la rue… Un terrain tout à fait favorable au développement de pathologies somatiques les plus diverses ! Ma famille est donc une manne pour les docteurs de tous poils.

Bref, ma légitimité en matière d’émotions étant ce qu’elle est, je me suis reportée aux spécialistes du domaine. Christophe Haag, un chercheur en psychologie sociale, auteur de « La contagion émotionnelle », considère l’émotion comme « la particule de Dieu ». Jolie définition. Un peu abstraite à mon goût. Il précise que si elle ne se voit pas à l’œil nu (c’est peut-être là le rapport avec Dieu !), ce sont ses manifestations que l’on repère. Et donc, en partant de là, on peut en décrire certaines caractéristiques :

  • Il existe différentes émotions, positives ou négatives, dont les fondamentales (ou primaires) sont la joie, la tristesse, la peur, la colère, le dégoût. Tous leurs mélanges se déclinent dans une multitude d’émotions intermédiaires, une sorte de « nuancier Pantone » des émotions…
  • Leur durée de vie serait de quelques millisecondes à quelques minutes ! Pour un écrivain, avouez que ça ne fait pas long pour embarquer le lecteur ;
  • On connaît aussi l’endroit où elles se logent dans notre cerveau : il paraît qu’elles y laissent des traces comme les pattes d’un animal dans la neige, une « signature neurale » ;
  • On sait aussi décrire leurs conséquences physiques et physiologiques (libération d’hormones telles que la dopamine, la sérotonine, l’adrénaline et l’ocytocine en ce qui concerne la joie, hormones qui ont un lien direct avec notre système nerveux, et qui provoquent notamment une augmentation ou un ralentissement de notre fréquence cardiaque).
  • Enfin, last but not least, on sait comment elle voyage : de corps à corps (pour ne pas dire de cœur à cœur) ou d’esprit à esprit…

— Waow, s’exclame la Catherine cartésienne se réveillant en sursaut de sa léthargie émotionnelle, « Il y aurait donc une sorte de champ émotionnel invisible tout autour de nous qui nous relierait les uns aux autres ? Non mais, Allo quoi ! Restons sérieux ! »

— Pourtant, lui réponds-je (là, c’est la Catherine empathique, branchée H24 sur les émotions des autres, qui répond… Et rien à voir avec l’éponge !), « pourtant, donc, rappelle-toi ce moment vibrant de contagion émotionnelle que nous avons vécu, il y a quelques années à l’aéroport alors que nous attendions Robin (mon/notre fils) dans le Hall d’arrivée ? »

Donc, oui, l’émotion est contagieuse, et elle n’a pas nécessairement besoin de mots pour l’être. Il suffit de se remémorer les tristes images de Notre Dame en feu, celles euphoriques de la victoire des bleus en 98 (je parle pour vous, parce que moi, ce soir-là, je regardais Tess à la télé, le fabuleux film de Roman Polanski avec Nastassja Kinski) ou de celles, tragiques, des attentats terroristes de ces dernières années.

Pour l’écrivain, c’est plus compliqué : il n’est (en principe) pas en contact physique avec son lecteur, il doit donc avec ses mots créer les images mentales qui vont provoquer cette contagion d’esprit à esprit. Ce qu’arrive très bien à faire Gabriel (J’ai bien le droit de l’appeler par son petit nom après toutes les émotions qu’il m’a fait vivre).

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